Il faut apprendre à dire non nous dit-on. Mais pourquoi est ce aussi important ? Et quelles sont les façons de dire non dans notre quotidien ?
Nous allons appréhender cette notion sous trois angles : les neurosciences, la psychologie et la philosophie.
Pourquoi est-il important de savoir dire non, de l’individu à la société
Une des expériences les plus célèbres de la psychologie sociale est celle de Stanley Milgram, psychologue américain qui en 1963 a mesuré notre degré de soumission à l’autorité. L’expérience consiste à faire croire aux participants que l’on réalise une étude scientifique sur l’efficacité de la punition dans l’apprentissage et la mémoire. Le sujet joue le rôle de l’enseignant, et doit interroger des élèves, complices de l’expérimentateur.
Si l’élève donne une mauvaise réponse à une liste de mots à mémoriser, l’enseignant doit lui administrer un choc électrique allant de 15 volts à 450 Volts (ce dernier étant signifié comme choc dangereux près du bouton). Les chocs électriques sont bien sûr fictifs mais l’enseignant ne le sait pas. L’élève simule la souffrance plus ou moins fort selon la douleur qui aurait pu être ressentie jusqu’au silence à 450 volts.
Quand l’enseignant se met à hésiter, l’expérimentateur, figure d’autorité dans sa blouse blanche, lui demande de continuer. Car l’expérience l’exige.
Milgram avait réalisé au préalable une enquête auprès de psychiatres qui pensaient tous que la plupart des sujets n’iraient pas au delà de 150 volts.Malheureusement les résultats étaient, et restent pour le moins inquiétants : 62,5% des sujets de l’expérience allèrent jusqu’aux 450 volts. Près des deux tiers des sujets ont préférés torturer l’un de leur semblable plutôt que de dire non.
Sans aller jusque là, nous avons tous expérimenté cette situation où nous avons dis oui alors que nous aurions voulu dire non. Impossible que ce mot ne sorte de notre bouche. Impossible même parfois de l’imaginer.
Justine nous raconte : « Je suis super juste au niveau de mes finances depuis le début de l’année, mon CDD n’a pas été renouvelé à cause de la pandémie et cela m’a fait basculer dans la catégorie des précaires. Je suis allée rencontrer mon nouveau conseiller bancaire. Je voulais qu’il mette un visage derrière mes comptes rouges vifs mais également qu’il constate mon envie de rebondir, de m’en sortir. Il a du bien le voir car… il m’a vendu une nouvelle assurance. Je n’ai pas osé dire non. Imaginant qu’il sera peut être conciliant avec moi durant les semaines à venir. Je me rend compte maintenant de l’énormité de la chose. D’un côté comme de l’autre. »
Ce témoignage comme tant d’autre peut-être expliqué physiologiquement :
Des chercheurs en neuroscience de l’Université Monash en Australie ont publié une étude dans laquelle il apparait que les personnes qui acceptent beaucoup trop de choses préfèrent le consensus pour éviter une situation de « détresse mentale, provoquant un stress intense. » Nous disons oui pour évacuer l’angoisse de dire non.
Lors des IRM, dans le cerveau des personnes, qui imposent leur pensée alors que ce n’est pas habituellement leur façon de faire, les régions les plus stimulées sont celles du cortex préfrontal médian, où nait le raisonnement et le cortex insulaire, lieu de la conscience et de la dépendance. Ces deux régions provoquent ensemble un message d’anxiété, comme si la personne ne se sentait pas autorisée à penser par elle-même. Comme si il y avait un conflit entre la dépendance à notre genre humain et notre capacité à résonner. L’un des chercheurs de l’étude, le Dr. Juan Dominguez explique : « D’une manière générale, les gens aiment être d’accord avec leurs semblables, un défaut social de ’tendance à la vérité’, qui aide à créer et maintenir des relations sociales ». Nous comprenons donc notre précieux besoin d’appartenance présent dans la pyramide de Maslow.
Les croyances qu’il nous faut abandonner
On nous a appris à obéir quand on était enfant. À être gentil, à ne pas faire de vague. Que ce soit à la maison, à l’école, on nous a tour à tour interdit de refuser, de désobéir, de dire non. Cela est encore plus prégnant, encore aujourd’hui, dans l’éducation des filles. Au lieu de juger un enfant sur son action, on le juge sur son être tout entier. Nous l’enfermons et l’infantilisons à jamais. Nous pensons alors en grandissant qu’en disant oui, nous éviterons que le lien ne se coupe avec l’autre. Nous devrions plutôt leur apprendre leur autonomie. Eux aussi on le droit de dire non, et nous avons le devoir (quand c’est légitime), d’accepter leur refus.Nos croyances sont donc bien ancrées depuis notre plus jeune âge. Nous pensons parfois que de dire non est un manque de considération voir une volonté de nuire. Fruit d’un esprit obtus. Mais ce n’est pas interdit, ni agressif, ni mal de dire non, c’est même la seule façon de ne pas s’abandonner.Maurice Rajsfus, historien, nous dit : « L’apprentissage de la désobéissance est un long cheminement. Il faut toute une vie pour atteindre la perfection. »
Les 4 peurs qui nous empêchent de dire non
Quand on dit oui sans le désirer, cela peut être la peur qui nous domine.
- La peur du conflit, des représailles
- La peur d’être jugé, critiqué et rejeté
- La peur de blesser, de décevoir, de laisser l’autre souffrir et de se sentir responsable de ces souffrances
- La peur de l’autorité, de devoir se justifier ou s’excuser
Et vous ? avez-vous déjà été confrontés à ces peurs ?
L’estime de soi
Quand nous sommes persuadés de valoir moins que les autres, quand nous avons peur du jugement d’autrui. Quand nous pensons que les besoins des autres passent avant les nôtres. Nous n’osons pas dire non. Savez-vous jusqu’où peut aller cette négation de soi ?
Tahar Ben Jelloun, écrivain et poète, nous dit :« Un Homme en colère est un Homme qui n’a pas su dire non et éprouve, en plus, le remords de ne pas l’avoir fait. »
Ne pas savoir dire non a un impact sur notre santé, sur nos vies personnelles, professionnelles. Cumuler les frustrations parce qu’on n’arrive pas à dire non explique des colères, des épuisements et des dépressions. Cela peut aller de, passer à côté de son épanouissement personnel jusqu’au au harcèlement moral, aux violences sexuelles et physiques… C’est tout un apprentissage à faire.
Marguerite Yourcenar écrivait :« Très peu d’hommes et de femmes existent par eux-mêmes, ont le courage de dire oui ou non par eux-mêmes. »
Pourtant un enfant a une période où il dit non car il apprend à s’affirmer. Il déjà ce besoin en lui. On a tous besoin de savoir dire non, c’est une question identitaire. C’est un pouvoir que l’on partage et là que l’on s’octroie. C’est une liberté que l’on acquiert. Ce n’est pas de l’égoïsme. C’est un respect de soi. Dire non à l’autre c’est dire oui à soi, à ce qui nous correspond. Ce n’est plus laisser les autres décider à votre place, c’est prendre votre place dans la seule vie que vous avez. C’est répondre à votre besoin d’affirmation, votre besoin d’estime de vous, de respect des autres envers vous, d’intégrité, que l’on peut retrouver dans les besoins fondamentaux de Marshall Rosenberg.
Penser à vous évite la procrastination, les manques de limite et à terme la perte de motivation de vos propres envies et projets. Il vous faut rester en permanence en contact avec vos priorités. Vous n’avez qu’une seule vie ! Pourquoi devrait-elle avoir moins d’importance que celle des autres ? Il faut apprendre à rester en adéquation avec ses valeurs, être en harmonie avec soi-même, poser ses limites.
La minute philo
Savez-vous qu’en Philosophie, le non est mieux vu que le oui ?
« Penser c’est dire non » disait Alain
Dire non, ok nous savons ce que signifie ce mot. Enfin… la plupart. Penser lui vient du latin pensare signifiant peser. Peser le poids d’une opinion. Peser le pour et le contre afin de se rapprocher de la… vérité. Ou tout du moins de la notre. Dire non c’est se rapprocher de ce qui est cohérent pour soi.
Kant lui nous explique dans « Qu’est ce que les Lumières ? » qu’il est moins exigeant pour notre esprit de se laisser guider par d’autres. De ne pas faire l’effort de la réflexion car penser n’est pas aisé et demande du courage et de la volonté.
Les Lumières, dit Kant, « se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute [car] elle résulte non pas d’une insuffisance de l’entendement mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir. (..) aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières ».
Dans cet ouvrage, il faut absolument refuser d’être sous tutelle. Et donc penser par soi même, pour s’émanciper.
Platon lui nous enseigne que penser, c’est aussi dire non aux préjugés, aux idées préconçues. Aux fakesnews d’aujourd’hui. Dire non permet d’exercer ainsi sa pensée critique.Refuser d’admettre sans explication. Dire non tout le temps aux évidences.
Retenons qu’à défaut de dire non tout le temps, il serait préférable, à tout ce qu’on entend et ce qu’on nous demande, de commencer par le penser, ce non.Puis de raisonner et de trouver sa vérité, qui nous mènera vers la réponse finale la plus cohérente.
Jean Paul Sartre nous dit : « Être libre, c’est savoir dire non »
Sartre parle dans son oeuvre de négativité productrice.C’est quand le refus de se soumettre produit un résultat positif, quand une société ou un individu refuse une injustice, ou souhaite une amélioration de sa condition.Notre société aujourd’hui prône le consensus à travers une communication qui arrive à ses limites. Elle ne laisse pas sa place au progrès, qui passe par laisser les individus exprimer leur refus et inventer ensemble un monde où chacun aurait sa place.Le refus est l’étendard de la liberté, le non est le nid de la création et de la réflexion. Le non est émancipateur.
En faisant un pas de côté on se rend compte qu’en économie également le « non » permet l’innovation. Quand on refuse le statue quo, ce pouvoir de dire non permet d’imaginer un produit ou un service différent, plus en phase avec nos besoins et/ou nos valeurs. Nous pensons à Apple, par exemple, mais plus près de nous toutes ces innovations dans l’économie sociale et solidaire qui se rapproche de nos besoins et de nos valeurs.
Quand on a appris à dire non, que se passe-t-il ?
« Je ne vis plus à travers les autres, j’ai trouvé un bien-être, mon rapport avec mon entourage est plus honnête, plus authentique, je me sens vraie, libre. » nous dit Marie
Dire non, c’est donc prendre sa propre place dans ce monde, se distinguer, s’affirmer.Dire non, c’est aussi accepter de décevoir l’autre, de ne pas être à la hauteur de ses attentes et donc in fine de s’affranchir de son regard. Si cet autre ne comprend pas notre réponse c’est de sa responsabilité.Nous pouvons nous souvenir et peut-être nous rendre compte que les non que nous avons vécu, ont souvent été bénéfiques. Ils ont pu nous faire grandir, nous améliorer, apprendre des autres. Il en sera de même pour les non que nous exprimerons. Recevoir ou exprimer un non, c’est grandir.
Les 5 façons de dire non au quotidien
1 – Changer de regard, de posture, de communication :Vous devez comprendre, et votre interlocuteur aussi, que l’on dit oui à la personne mais non à sa demande. Soyez assertif, c’est à dire soyez sûr de vous, sachez dire non quand c’est nécessaire, soyez capable de respecter vos désirs, vos besoins en tenant compte des besoins de l’autre, sans le blesser ou lui nuire. En exprimant par exemple : « Je comprends ton point de vue, mais je ne peux ou ne le veux pas »ou bien « j’entend ta demande, mais je ne peux y accéder. »
2 – Ne vous justifiez pas car cela vous met dans une situation délicate : Vous laissez alors à votre interlocuteur la possibilité de modifier sa demande pour que votre excuse ne se justifie plus.
3 – Si la personne insiste lui répondre : j’ai bien compris, (cela ne change rien à notre relation), mais la réponse est non et je suis ok avec ça. Si besoin, il existe deux techniques issues de l’approche cognitivo-comportementale : tout d’abord «Le disque rayé» , qui consiste à répété calmement et fermement son refus et «l’écran de brouillard» qui permet de couper court à a discussion. Par exemple quand une personne vous dit: «C’est vraiment pas sympa de ta part de refuser», vous pouvez lui répondre: «C’est vrai, aujourd’hui je ne suis pas sympa.» PS : entrainez-vous avec vos enfants avant de passer aux adultes, vous verrez ça marche très bien.
4 – Si la pression est trop forte à l’oral, demander un délai de réflexion pour vérifier votre envie ou votre disponibilité. Vous pouvez aussi proposez à votre interlocuteur de vous transmettre sa demande par écrit par texto ou mail car vous n’êtes pas disponible à l’instant, puis répondez lui par écrit après avoir pris le temps de réfléchir.
Souvent les personnes qui n’osent pas dire non ont aussi en commun de ne rien demander pour elle. C’est un travail qu’il est intéressant de faire en parallèle. Apprenez en même temps à exprimer vos besoins et demander quelque chose pour vous. C’est un droit pour tous de demander une faveur comme de dire non.
5- Améliorer son estime de soi
Lâchez prise, vous n’êtes pas parfait, vous ne pourrez pas plaire à tout le monde. Commencez par vous plaire à vous même.Vous méritez le respect. Vous méritez d’avoir la vie qui vous convient. Vous devez définir vos valeurs et poser des limites à celles que vous ne voulez pas franchir. Prenez le temps de réfléchir avant de donner une réponse. Si les raisons de votre non sont cohérentes avec vos besoins et vos valeurs, vous ne vous sentirez pas coupable.Votre estime de vous ne dépend pas de ce que vous faites pour les autres.Rappelez vous qu’il n’existait personne comme vous avant vous et que personne comme vous n’existera après vous. Vous êtes unique et précieux, personne d’autre dans ce monde ne peut être qui vous êtes ni offrir ce que vous pouvez offrir. Estimez-vous et affirmez-vous.
Claire Dahan, psychologue nous dit : » Avoir confiance en soi, ce n’est pas se dire : je suis quelqu’un de bien parce qu’on m’aime. C’est pouvoir se dire : ce n’est pas grave si on ne m’aime pas car je sais qui je suis. »
Petit Aparté :Si c’est vraiment trop compliqué, ou si vous souhaitez accepter la demande mais pas dans les conditions exposées, vous pouvez proposer à votre interlocuteur un autre moment, ou différemment, ou avec quelqu’un d’autre »Je ne peux pas répondre à ton besoin, peut-être quelqu’un d’autre est-il plus disponible, ou bien, après-demain j’ai une plage horaire de libre. Ou bien oui pour ta demande mais sur un autre projet, dossier. Ou bien oui pour te voir mais pas à cet endroit… »
Plus nos non seront exprimés, plus nos oui seront sincères 🙂